12 questions à Marie-Josèphe Baud
Présidente de France Mentor
Marie-Josèphe Baud, pouvez-vous vous présenter et décrire votre parcours ?
Je suis diplômée HEC et j’ai fait ma carrière quasiment exclusivement dans l’industrie pharmaceutique, sans avoir ni médecin ni pharmacien dans la famille, ce qui était une gageure pour l’époque. J’ai commencé ma carrière aux études de marché dans un laboratoire qui s’appelait Ciba, devenu aujourd’hui Novartis. Je suis ensuite passé par le business développement, les plans stratégiques, et le marketing-ventes, avant de me retrouver directeur général de laboratoires dans les années 90. J’ai terminé ma carrière comme Présidente du laboratoire Sandoz.
J’ai travaillé essentiellement pour des grands groupes et des multinationales, qu’ils soient suisses, américains, israéliens ou suédois, avec une focalisation sur la France et sur l’Europe.
A l’heure de ma retraite, j’ai créé une société de conseil nommée MJB Conseil, basée sur le consulting dans les domaines d’activités que j’ai fréquentés. Je suis aussi administratrice d’un laboratoire vétérinaire français, familial et coté, Vétoquinol. Et, depuis 2017, je suis Présidente de l’association France Mentor.
Pourquoi vous tourner vers le mentorat ?
Le mentorat et moi, c’est une longue histoire, qui débute lorsque je suis directrice générale. Je constate alors que, dans notre industrie pharmaceutique, on nomme de plus en plus de jeunes Directeurs généraux, issus de la filière marketing vente, ce qui est une bonne chose, mais sans leur donner le mode d’emploi. Or, lorsque vous êtes promu, au sein de votre propre entreprise, du jour au lendemain, vos ex-collègues changent d’attitude à votre égard. C’est quelque chose d’assez perturbant. Vous êtes tout à la joie d’avoir été nommé et vous vous rendez compte que ce n’est pas aussi simple. Ne pas avoir d’accompagnement quand on franchit cette marche peut engendrer bien des erreurs pouvant être préjudiciables à votre première expérience de Directeur général.
C’est de cette réflexion que je me suis intéressée au mentorat. A tel point que lorsque le DRH de Sandoz m’a recrutée pour que je prenne la présidence de Sandoz France, à la question : « quel serait votre poste idéal ? », j’ai répondu : » je voudrais être le mentor des nouveaux directeurs généraux du groupe ». C’était un vrai besoin que je ressentais. Et si on y réfléchit bien, je suis certaine que je n’aurais pas eu la même carrière si je n’avais pas moi-même été épaulée par des « mentors ». Je mets le terme entre guillemets, car à l’époque je ne connaissais pas ce vocable, sauf pour avoir lu l’Odyssée dans ma jeunesse et connu le rôle de Mentor auprès de Télémaque.
En quoi le mentorat est-il important pour les chefs d’entreprise ?
Le chef d’entreprise est confronté à une solitude. Vous avez votre comité de direction ou exécutif, vos actionnaires ou votre maison mère et vous êtes là, au milieu et vous vous rendez compte très vite que lorsque vous avez des questions, les personnes que vous sollicitez ne vont pas obligatoirement vous donner une réponse claire, nette et franche. Leur réponse est biaisée en fonction de la situation hiérarchique et de leur propre intérêt.
Par conséquent, si vous avez un tiers bienveillant, un mentor, qui passe du temps à vous écouter, qui a eu, par le passé, une expérience similaire à la vôtre, cela va vous aider à vous exprimer et à aller beaucoup plus vite. Si vous avez quelqu’un qui répond à vos questionnements et qui vous donne des exemples de réussites, mais aussi d’échecs qu’il a lui-même vécus, vous allez pouvoir formuler votre jugement et élaborer vos solutions d’une manière beaucoup plus sûre.
Comment pourrait-on déterminer le fonctionnement d’une relation mentor/mentoré ?
Tout d’abord, c’est une relation humaine. Vous n’allez construire cette relation qu’avec une personne pour laquelle vous ressentez de la bienveillance ou une personne avec laquelle vous pouvez vous identifier. C’est le choix de faire un petit bout de chemin ensemble. Pour progresser, le mentoré a besoin d’avoir quelqu’un qui l’écoute et qui peut lui apporter des solutions ou lui éclairer son chemin avec la bonne lanterne. Quant au mentor, il va mettre son passé, son expérience au profit de son mentoré. Le mentor va transmettre ce qu’il a accumulé au cours de 30, 40 ans de vie professionnelle. Cette transmission est très valorisante pour lui. Et pour le mentoré, entendre que son mentor a traversé des situations identiques, lui permet de trouver des solutions d’une manière très sereine. C’est en ce sens que c’est extrêmement riche
Pouvez-vous nous parler d’une relation singulière ?
J’en ai une qui est tout à fait singulière, que je peux partager parce que c’est peut-être celle qui a été la plus déconcertante et pour laquelle je me sentais la moins qualifiée. Il s’agit d’une jeune pianiste concertiste qui m’a sollicitée pour que je l’accompagne. A l’époque, je ne voyais pas ce que je pouvais lui apporter, j’ai donc dans un premier temps refusé. Elle était extrêmement déterminée et il y avait une vraie alchimie humaine. C’est ce qui m’a fait changer d’avis.
C’est une relation mentor/mentoré qui dure depuis huit ans. C’est donc mon plus long accompagnement. On se voit tous les mois et on travaille pendant 1h30 environ. Ce qui est intéressant, c’est de voir qu’il y a une relation très spécifique qui s’est établie. Je dois dire que j’ai beaucoup d’admiration pour cette jeune femme. Cette relation est singulière dans le sens où je ne l’attendais pas et ou je ne pensais pas qu’elle pouvait avoir une vraie raison d’être.
Ce qui est extraordinaire c’est que cette jeune femme a donc un agent, une personne chargée de ses relations avec les médias, un label, … elle sait très bien où je me situe dans le panorama des gens qui gravitent autour d’elle et ce que je lui apporte et ce que je ne peux pas lui apporter. C’est une très belle relation de mentor/mentoré.
Généralement, combien de temps dure une relation mentor/mentoré ?
C’est le mentoré qui va définir ce dont il a besoin et c’est lui qui fixe l’agenda de chaque réunion. Pour un dirigeant qui accède à un poste ou qui a un besoin spécifique, cela s’étend généralement sur 18 mois. Mais il peut arriver que la relation dure plus longtemps. Est-ce qu’elle a duré moins de 18 mois ? Je ne le pense pas.
J’accompagne également en mentorat des étudiants de la Fondation HEC. Une fois que la phase estudiantine est terminée, la relation a vocation à s’arrêter. Mais elle peut reprendre si le besoin s’en fait sentir.
Est-ce possible de soutenir plusieurs mentorés en même temps ?
Oui, mais dans des situations différentes. J’accompagne entre 5 à 10 personnes par an. Cette année par exemple j’accompagne deux chefs d’entreprise, quatre étudiants, des personnes en repositionnement de carrière et l’artiste dont je vous ai parlé.
C’est une activité prenante ?
Il faut compter 2h toutes les trois semaines, surtout pour un chef d’entreprise parce qu’il est important que je garde bien en mémoire tout ce qui s’est passé dans la réunion, afin de repartir sur une nouvelle séance sans qu’il y ait à passer une heure pour faire le point sur l’évolution de son environnement. Donc le rythme de trois semaines, par rapport à une entreprise, est assez bien adapté. Je reste bien sûr joignable en cas d’urgence.
Que conseilleriez-vous aux personnes qui souhaitent devenir mentors ?
Je pense qu’il faut qu’elles se posent les bonnes questions sur leurs propres motivations. Pourquoi veulent-elles devenir mentors ?
Je constate que les personnes que nous avons cooptées à France Mentor ont toutes des caractéristiques communes, à savoir des gens qui savent écouter, des gens qui ont l’envie passionnée de transmettre, et qui peuvent dégager du temps.
L’autre caractéristique fondamentale chez France Mentor, c’est la bienveillance. C’est un mot clé pour un mentor. Il ne faut pas avoir d’a priori ni de jugement, et en revanche s’appuyer sur son éthique et sa morale, mais sans jamais les imposer à celui qui est en face de vous. Par définition, quand vous accompagnez quelqu’un avec ses doutes pendant un an ou deux ans, vous touchez souvent à des choses extrêmement personnelles. Il faut savoir où s’arrêter et savoir où mettre les limites. En sachant que tout ce qui se passe est d’une confidentialité absolue.
Ce sont ces caractéristiques que doit avoir un mentor et j’espère qu’on mettra bientôt un test d’auto-évaluation sur le site de France Mentor à ce sujet.
Peut-on être mentor dans n’importe quel domaine d’activité professionnelle ?
Chez France Mentor, on pense que l’on est d’autant plus performant que l’on connaît soi-même le métier. C’est-à-dire qu’un directeur financier sera un excellent mentor pour un autre directeur financier ou qu’un ancien DRH aura des aptitudes à accompagner un DRH nouvellement nommé… Les filières professionnelles sont évidemment à prendre en compte pour bien mentorer. Il y a, bien sûr, des exceptions à la règle et c’est le cas avec cette artiste que j’ai évoquée précédemment.
Que dire aux futurs mentorés ?
Connais-toi toi-même.
C’est valable tant pour le mentor que pour le mentoré. Mais attention, un mentor n’est pas un coach. Entendons-nous bien, si on a un problème d’expression en public, de capacité à manager ses collaborateurs, …c’est d’un coach dont on a besoin, non d’un mentor. Le mentor propose un accompagnement dans un projet professionnel.
Chez France Mentor, on a des mentors venant d’horizons variés (ressources humaines, finance, juridique, direction générale d’entreprise…). Nous avons même maintenant un spationaute qui nous a rejoint. Toutes ces personnes viennent riches de leurs expériences et soucieuses de les partager.
Quels sont les atouts et les caractéristiques de cette association ?
L’adhésion se fait par cooptation et la cooptation se fait sur la base d’une charte qui a été éditée par France Mentor. Toutes les caractéristiques de France Mentor y sont énoncées. Le futur mentor, s’il est coopté, devra adhérer et signer ladite charte.
L’objectif et le propos sont très clairs chez France Mentor : accompagner le développement d’un professionnel ou d’un futur professionnel.